vendredi 9 juillet 2010

Le casse de Nice : Pivot raconte Spaggiari

"Quand Spaggiari passait
à Apostrophes"
Le Journal du Dimanche,
23 avril 2008.

Albert Spaggiari revient sur le devant de la scène grâce au film de Jean-Paul Rouve, Sans arme, ni haine, ni violence. Bernard Pivot raconte sa rencontre étonnante avec un homme en cavale. Ce dernier avait donné rendez-vous au journaliste dans un hôtel milanais pour une interview à l'émission "Apostrophes". Bernard Pivot dresse l'esquisse d'un filou plutôt qu'un bandit.


Albert Spaggiari, au collège dit Bébert Spaghetti, avait publié un récit de sa jeunesse sous le titre Journal d'une truffe. En argot, la truffe est un imbécile manipulé, ce qu'il avait été et ce qu'il était encore puisque les principaux bénéficiaires du "casse du siècle", son Oeuvre - pillage des coffres de la Société générale de Nice -, avaient été ses commanditaires du milieu marseillais. La truffe est aussi un champignon très recherché. Lui aussi l'était. En cavale en Italie, il était entré en correspondance avec moi pour que j'aille clandestinement l'interviewer à l'occasion de la sortie de son livre. Puisqu'il avait fait son coup "sans arme, ni haine ni violence" (c'était son credo et c'est le titre du film que Jean-Paul Rouve a tiré de la vie du voleur), j'avais accepté. J'aimais bien, de temps en temps, faire une "Apostrophes" canaille (3 juin 1983). Le court entretien - un quart d'heure - a été enregistré dans une pièce nue d'un hôtel minable de Milan. Mais était-ce là qu'il vivait ? Moumoute, grosses lunettes marron. Ce jour-là, il ressemblait à Oskar Werner, le Jules du film Jules et Jim, de Truffaut. A la question : "Votre profession sur votre passeport ?", il me répondit : "Ecrivain", parce que "c'est très passe-partout". C'était un filou intelligent, plutôt sympathique, un faux fragile, un agité de la fanfaronnade, un accro de la gloriole, ce que montre très bien Jean-Paul Rouve, acteur et réalisateur. S'il fallait lui trouver un correspondant dans la bande dessinée, ce serait les Pieds Nickelés. Le petit livre que leur consacre l'historien Jean Tulard (Les Pieds Nickelés de Forton, Armand Colin) me conforte dans cette idée. A ceci près que Spaggiari, toujours déguisé, la tête toujours recomposée, était à la fois Croquignol et son long nez, le borgne Filochard, et le barbu Ribouldingue, fumeur de cigares comme le Niçois. Et tous les quatre malins, provocateurs, escrocs, bons vivants et rigolards. Quelques mois après l'interview, en haut de l'avenue Mac-Mahon, je m'entendis interpeller joyeusement par mon prénom. L'homme retira ses lunettes noires, mais pas sa barbe ni sa perruque. C'était Spaggiari. Paris lui manquait.
Bernard Pivot

De haut en bas :
- Albert Spaggiari et son avocat Maître Jacques Peyrat - futur maire de Nice -, se rendent au tribunal.
- "L'envol" de Spaggiari près du Palais de Justice rue de la Préfecture : Jean-Paul Rouve dans Sans arme, ni haine, ni violence (2008).
- Ian McShane est le "Cerveau" dans le pendant anglais des Egouts du paradis de Giovanni, The Great Riviera Bank Robbery (Francis Megahy), tous deux réalisés en 79.

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