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jeudi 25 novembre 2010

Nice jazzZz... 95 (3ème partie)

3/3 Radieuse malgré l'écho polaire que lui renvoient les Niçois en goguette, elle arpente la scène en glissant, au détour d'un rap, quelques invectives - « Get up, motherfuckers ! » - qui montrent qu'elle n'est pas dupe. Même ses efforts pour entamer un embryon de dialogue - « Are you nice in Nice ? » - s' avèrent sans retombées flagrantes. Au milieu du show, Neneh sort alors sa botte secrète : « Un ange va venir me rejoindre. Je suis très honorée de chanter à ses côtés même s'il porte un maillot du Manchester United... » La famille beauf devant nous se lève comme un seul homme en hurlant « Youssou N'Dour, ouai-ais ! », imitée par l'ensemble des festivaliers azuréens, qui reconnaissent l'intro de la chanson du poste. Debout et captivé tout au long du morceau, le troupeau s'apaise ensuite, visiblement repu de ce qu'il était venu quêter. Man child obtient néanmoins lui aussi les faveurs dues à son rang de mini-tube hexagonal, mais c'est sans conteste la reprise ultra-fidèle du Crosstown traffic de Jimi Hendrix au rappel - précédée d'une nouvelle vacherie : « On va en faire une dernière, que vous soyez contents ou pas.... » - qui recueillera les manifestations de liesse les plus franches. Mise au parfum du résultat des récentes élections municipales à Nice, Neneh Cherry aura après le concert matière à ruminer un peu plus sa passagère amertume : « Un ancien type du Front national' Putain, on aurait dû me le dire avant, j'aurais fait conspuer son nom ! Ceci dit, la présence sur leurs terres de gens comme Youssou ou moi est la meilleure réponse à apporter à ces connards. »Elle éclate de rire, part retrouver sa petite famille et son groupe qui discutent à la fraîche pendant que Youssou N'Dour fait un carton sur scène. Le fond de l'air est africain, alors qu'en bas la ville meurt un peu plus dans la nuit. Les retraités dorment, sans doute apaisés par les patrouilles privées qui sillonnent la baie. Neneh Cherry est décidément trop belle pour eux. Christophe Conte

vendredi 19 novembre 2010

Nice jazzZz... 95 (2ème partie)

Neneh et son chéri nous le confirmeront d'une seule voix Man est "strictement composé de chansons, des ballades avec des cordes et des titres plus rock, mais pas trop de rap, ni de dance. J'ai toujours essayé de tourner la norme et le hip-hop est malheureusement devenu une musique vulgarisée. J'ai eu envie de m'en détacher, de revenir à des racines plus solides. Nous avons travaillé dans plusieurs villes Londres, Stockholm et Malaga, en Espagne, où nous sommes désormais installés, Cameron et moi. Après celui-ci, j'aimerais retourner très vite en studio pour enregistrer des titres tels que nous les jouons en live, des choses plus directes. Tricky avait commencé à collaborer avec nous, mais on a laissé tomber parce que son style est trop personnel, trop marqué. Son travail est exceptionnel, complètement fou, mais une telle présence risquait de créer la confusion, alors que ce nouvel album doit marquer un changement brutal d'attitude. J'ai tellement joué la carte de l'éclectisme jusqu'ici qu'on peut légitimement se demander où se situe ma vraie personnalité. Cette fois, nous voulions décider de tout à trois, quitte à laisser par la suite des gens de l'extérieur remixer à leur guise certains titres pour des maxis."
Des nouveaux titres, il n'y en aura qu'une poignée durant le concert, constitué en grande majorité des chansons de Homebrew. Pour avoir une idée approximative de ce qui nous attend en janvier, on appréciera le traitement infligé aux anciens titres, notamment cette version bouillonnante de Money love où Neneh Cherry tutoie sans la moindre gêne les sommets périlleux du rhythm'n'blues féminin façon late sixties. La voix, avantageusement maltraitée par une angine, improvise des envolées rocailleuses dont on ne la savait guère familière. En fermant les yeux, on croirait entendre une Aretha Franklin ou une Ann Peebles, qui ont sûrement foulé en leur temps des planches voisines. Juste derrière, sa reprise de Trouble man - issue d'un futur album en hommage à Marvin Gaye - aurait dû faire enfin se lever la foule. Malheureusement, comme Bordeaux et Lyon, Nice a l'humeur de pierre et l'assistance bcbg se fait même prier pour applaudir. Chacun ici est visiblement venu pour Youssou N'Dour et devait penser en arrivant que Neneh Cherry est le nom d'une marque de chocolats qu'on offre à Noël. Pendant le concert, une sexagénaire liftée au mortier aura, en se tournant vers sa fille, cette sentence définitive: "C'est vrai qu'elle a quelque chose de Cindy Lauper." Oui, oui, chère madame, un peu d'Isabelle Aubret aussi. Cameron, lui, masque son énervement en criant, gesticulant, applaudissant pour dix. Il reprend les chansons en chœur, lance de loin des private-jokes qui font sourire sa charmante épouse, brise un peu la glace dans le périmètre où nous nous trouvons. Le magnifique Feel it donne le ton des ballades du disque a venir : abyssales et sinueuses, avec des boucles qui rappellent évidemment Bristol, cette scène aujourd'hui tellement pillée - et éparpillée -, mais dont Cameron fut il y a six ans le principal artificier. Il serait d'ailleurs fort cocasse que Neneh Cherry, à la sortie de son disque, se fasse taxer d'opportunisme trip-hop, alors que son mari détient quasiment à lui seul les droits filiaux du genre. Autant reprocher à la femme de Landru d'allumer un feu. Pourtant, Man, le premier single prévu, fait irrésistiblement songer à Portishead avec lesquels, visiblement, la maison Cherry Bear - l'unité d'action du couple - partage les disquettes de samples. Mais si elle n en possède pas les mystères, Neneh Cherry apporte un supplément de glamour qui fait défaut à la chair triste de Beth Gibbons. 2/3

samedi 13 novembre 2010

Nice jazzZz... 95 (1ère partie)

Neneh chez les neneus
9/8/95 Les Inrocks.com

Avant la sortie hivernale de Man, son troisième album, Neneh Cherry passe l'été en famille sur les routes d'Europe pour une mini-tournée de remise en forme. L'escale niçoise, devant un public particulièrement glacé, fut loin d'être une promenade de santé.
 
« A Nice, Le fond de l'air est jazz » dit le slogan du festival d'été de la ville, comme pour faire la nique aux préjugés. A Nice, cinquième ville de France, quatrième au palmarès des cités honteuses juste derrière la triplette lepeniste, le fond de l'air est plutôt nauséabond. Evidemment, un rapide travelling estival sur la Promenade des Anglais ne laisse rien transparaître des mœurs électorales si particulières aux Niçois. Ici, la Méditerranée semble avoir été coupée à l'Obao turquoise, un vent tiède berce la cime des palmiers et chahute les jupes des filles, le flanc des collines laisse entrevoir, dans la verdure, des demeures aux richesses jalousement protégées. C'est Los Angeles sans les ghettos et, pourtant, la bourgeoisie locale fait dans son froc et surtout dans les urnes. Aussi, une ville qui cultive le particularisme jusqu'à présenter l'éventail politique le plus droitier d'une région déjà ultra-conservatrice n'inspire pas nécessairement la sympathie. Perchées sur des hauteurs plus respirables, les arènes de Cimiez font donc figure chaque année de village d'Astérix. Neuf jours durant, le Nice Jazz Festival accueille quelques centaines d'immigrés provisoires en provenance directe des meilleurs territoires du jazz, de la soul, du rock ou de la world-music. Référencée dans la catégorie nouvelles tendances & groove, Neneh Cherry donne ce mardi de juillet l'un des rares concerts de sa mini-tournée d'été. Juste un tour de chauffe sans enjeu, pile entre la fin de l'enregistrement et le début du mixage de Man, son troisième album, attendu pour le début de 1996. Logiquement, la Suédo-Américaine partage l'affiche avec Youssou N'Dour, son compagnon de fortune sur le duo multiplatiné Seven seconds.
Venu par un après-midi de plomb pour assister au soundcheck, on est saisi d'emblée par les basses replètes et les accords de synthés de la chanson fétiche des transistors de 1994. Deux voix, encore sans visages, se répondent entre les oliviers impassibles, dans les allées qui mènent à la scène installée dans l'herbe. Une fois sur place, déception : si Neneh Cherry est bien là - ceinte d'une robe en jean, sa nouvelle chevelure blonde sagement attachée -, Youssou N'Dour, lui, s'est métamorphosé en un petit brun tout blême, guitariste envahissant et véritable caméléon du groupe puisqu'il prendra aussi les traits de Michael Stipe pour la répétition de Trout. Finalement, Youssou arrive, impérial, et on respire mieux malgré la chaleur. Une joie de courte durée puisqu'un beau gosse vient nous signifier qu'on pourra repasser en janvier pour parler à Neneh Cherry car, aujourd'hui, la belle n'est pas venue pour faire de la promo. Lui, c'est Cameron McVey, un chanceux qui cumule auprès de Neneh les privilèges suivants : époux, père de ses deux sublimes fillettes, manager, compositeur (Seven seconds, c'est lui), producteur - sous le nom réputé de Booga Bear - et accessoirement cerbère en chef lorsqu'un imprudent a la prétention de troubler la tranquillité de la star. Même si l'on sait en arrivant que Neneh Cherry est une personne délicieuse, toujours prête à répondre aux journalistes et à poser pour les objectifs, le regard bleu acier de son cher et tendre dispense des fins de non-recevoir qu'il est plutôt risqué de contredire. Jusqu'au soir, ce fouineur à la baraka incroyable - il a découvert Massive, Portishead et Tricky - va donc aimablement repousser nos avances pour finalement nous concéder cinq minutes d'entrevue, une fois la pression du concert et la nuit tombées.
Il faut dire que les deux premiers shows de la tournée ont laissé chez Cameron une impression de gâchis qui a triplé sa méfiance : « Je n'arrive pas à comprendre l'attitude du public français. De vraies tombes ! A Bordeaux, on croyait jouer dans un cimetière. Et Lyon, avec la chaleur, c'était carrément un crématorium ! » A ses côtés, un type discret acquiesce avec dépit : c'est Jonny Dollar, le troisième homme de la garde rapprochée de Neneh Cherry. Lui aussi compose et produit, notamment le premier Massive Attack. A part ces deux-là, le staff de Neneh Cherry comprend, entre autres, un styliste - à côté duquel tous les Village People réunis paraissent de sages hétéros - et une baby-sitter pour la petite Tyson, 6 ans, 1,10 m de beauté métissée, qui accompagne ses parents sur leur lieu de travail. Quant au groupe, il est composé d'un batteur et d'un bassiste asiatiques, d'un guitariste-clavier et d'un percussionniste-DJ, tous deux suédois. Et, enfin, du caméléon à vingt-cinq doigts cité plus haut. A part ce dernier, franchement pénible lorsqu'on le laisse seul à la guitare - et qui sera remplacé sans qu'on le regrette lors des prochaines tournées par Jonny Dollar - les musiciens s'appliquent à rendre palpable chaque nuance lentement élaborée en studio. 1/3