Dimanche 22
Promenade des Anglais. La plage est encombrée de
gisants, exposés au soleil.
Quelques poitrines dénudées et des voyeurs qui se
penchent pour regarder. Les enfants font du patin à roulettes, des mères de
famille poussent des landaus. Les toilettes des bourgeois sont moins
tape-à-l'œil que dans À propos de Nice. Nous nous amusons à faire un montage
parallèle imaginaire entre ce que nous observons et les plans du film. M. me
cite une phrase de Vigo : « Ce qu'ils ont en commun, c'est de glisser doucement
vers la mort ».
Nous allons chez lui pour voir une nouvelle fois À
propos... pour tenter de retrouver les lieux où certains plans ont été tournés.
On en fait une liste. Il voudrait savoir ce que dansent les jeunes filles sur
le char. Pour moi, c'est un French Cancan. Pour le convaincre, je lui fredonne
l'ouverture de la Vie Parisienne. Ça marche !
La directrice de l'hôtel m'a mis en relation avec
un Niçois de souche à qui je montre le film qu'il n'a jamais vu. Il avait 15
ans en 1930. Il commente les images et identifie la voiture de course
reconnaissable à son arrière effilé : une Amilcar. Mieux, il reconnaît
l'hydravion, un CAMS. Il m'apprend qu'il existait à Nice-La Californie un plan
d'eau pour les hydravions qui faisaient la liaison avec la Corse. Il connaît la
ville comme sa poche. S'il n'est pas toujours capable de citer précisément une
rue, il m'indique le quartier. Je note les lieux sur un plan.
Lundi 23
Repérages fructueux des lieux notés sur la carte.
M. est content, me demande comment j'ai fait.
Conversation au téléphone avec Luce Vigo. Elle
peut nous prêter une copie de la version intégrale du film de son père. Elle a
vu les films de M. et aimerait le rencontrer. J'organiserai une rencontre
pendant le Festival où ils doivent se rendre tous deux.
Shopping. Depuis deux ou trois jours, M. s'arrête
devant les vitrines, il cherche une veste sombre, discrète. Je lui propose
plutôt une veste claire. Je finis par le convaincre. Il achète une veste d'été
à rayures blanc-bleu et deux pantalons.
M. m'a laissé quartier libre pour l'après-midi. La
jolie rousse du mini-lab a fait des progrès sur les tirages couleur. Elle me
présente aujourd'hui à un jeune Belge qui veut apprendre la photographie avec
un professionnel. Il me dit avoir un laboratoire photo et le met à ma
disposition. Je lui dis que je ne suis pas un photographe professionnel, il
insiste. J'irai peut-être. J'aimerais pouvoir développer les rouleaux de noir
et blanc.
Mardi 24
M. est très impatient de me voir, il a visité une
église et a parlé avec le curé. Il y a un mariage le lendemain, et il
m'explique sur un ton qui n'admet pas la discussion qu'il faut ab-so-lu-ment
filmer la sortie des mariés de l'Église demain.
— « Vous
avez votre caméra, non ? »
— « Oui,
mais je n'ai pas de pellicule. »
On achète deux bobines de Kodachrome à la Fnac. Il
faudra faire un contretype négatif au laboratoire.
On a placé la caméra sur un petit terre-plein
devant l'église. M. fait le cadre. On utilise la tourelle et les trois optiques
fixes : le 12, le 18 et le 25 mm pour varier les grosseurs de plan.
Les mariés sortent de l'église. M. tourne
lui-même, je manipule la tourelle des objectifs quand il me le demande et
surveille l'exposition. Il veut tourner un dernier plan, un panoramique
vertical dans une petite rue qui longe l'église. J'entends la pellicule qui
décroche dans le magasin. Je lui dis, mais il ne coupe pas le moteur tout de
suite. Il quitte le viseur, souriant : « Au moins, j'aurai rêvé un joli plan !
»
Le soir, il me raconte le tournage de son premier
film documentaire dans les années trente : Douro, Faina Fluvial.
Il avait acheté la caméra et développait lui-même
les films au moyen d'une sorte de tambour qu'il avait installé au-dessus d'une
baignoire. Il fallait enrouler le film dans le noir, et couper au hasard, car
le tambour ne permettait pas de développer tout le métrage de chaque bobine. Le
film séchait dehors sur des cordes à linge dans le jardin de sa propriété.
Il faisait le montage directement sur le négatif,
comme aux premiers temps du muet. Il utilisait sa table de billard recouverte
d'un drap blanc, où les bobinots du tournage étaient rangés et identifiés avec
de petites bandes de papier. Il n'avait pas de table de montage et se servait
d'une loupe pour regarder les images, les couper et les coller. Le montage du
négatif terminé, le laboratoire Tobis de Lisbonne tirait les copies.
cinematheque.fr
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