Il est ce
jour-là très enjoué et facétieux. Nous faisons une série de photos en compagnie
de son fils devant des toilettes automatiques. Nous pissons à tour de rôle en
bloquant la porte pour ne pas payer chaque fois. C'est la récréation. Je fais
plusieurs photos de lui dans une cabine téléphonique, il prend des poses
comiques.
Après-midi :
nous prenons le train jusqu'à Èze, et suivons le sentier de Nietzsche jusqu'au
village. Nous prenons un thé à « La chèvre d'or ». Nous regardons le soleil se
coucher depuis les hauteurs. Pas de photographies, M. est contemplatif. Nous
avons marché pas loin de quatre heures, il ne semble pas fatigué. Ecce homo.
Retour en
train, il note sur son petit carnet bleu qu'il faudra faire un plan du train
côtier depuis la colline. Arrivé à Nice, je me procure les horaires.
Je vais
maintenant chaque soir dans un mini-lab, qui développe les photos en une heure.
La jolie rousse un peu timide ne maîtrise pas réellement la tireuse
automatique. Les tirages sont tantôt trop clairs, tantôt trop sombres, souvent
rougeâtres. Je n'ose pas montrer ces mauvaises épreuves à Manoel. Je photographie
une charte de couleurs pour qu'elle règle sa machine. Elle m'avoue être
inexpérimentée et me propose de venir le lendemain après la fermeture pour
faire des essais. Nous gâchons pas mal de papier avant d'obtenir un résultat
satisfaisant. Il est près de dix heures, nous allons manger une pizza. Elle ne
me facture pas les premiers tirages en remerciement. Désormais, je lui apporte
un rouleau tous les soirs et récupère les tirages 9x13 le lendemain matin avant
notre séance de travail quotidienne chez Manoel. Pour les photos en noir et
blanc, les délais sont plus longs. Je les développerai moi-même à Paris.
Mercredi 18 avril
Apéritif chez
Manoel. Nous buvons un whisky. Manoel voudrait tourner un plan dans le bureau
de son fils. La pièce manque de recul. Je lui dis qu'il faudrait défoncer un
mur pour faire un plan large, il sourit et me dit qu'il vaudrait mieux trouver
une autre solution. Je lui propose d'installer un grand miroir et de faire le
plan depuis le couloir dans la réflexion du miroir. L'idée lui plaît.
L'appartement
est envahi d'objets. Madame de O. en est très malheureuse et tente de ranger et
de faire le ménage. Finalement nous réussissons à installer deux chaises dans
un recoin entre le couloir et la cuisine. Nous avons de longues conversations
sur le cinéma. Il admire Duras et Syberberg qui « réinventent quelque chose ».
Il a revu plusieurs fois À propos de Nice sur une cassette VHS. Il a noté la
description et le minutage de chaque plan avec un chronomètre que je lui ai
prêté. Nous revoyons le film sur un petit téléviseur. Nous repassons plusieurs
fois les images en travelling de la promenade des Anglais. Je lui dis que Henri
Alekan m'avait montré une photo de tournage de « l'homme à la caméra », le
magnifique Boris Kaufman. Il avait inventé un dispositif pour tourner sans
pied. La caméra était fixée sur une planche, avec deux bretelles, ce qui
assurait une bonne fixité tout en tournant la manivelle. Mais cette astuce
l'empêchait de se servir du viseur, il cadrait au jugé. L'anecdote intéresse M.,
il me demande s'il serait possible d'avoir une copie de cette photo.
M. a beaucoup
avancé dans le découpage du film. Chacun de ses plans est minuté à la seconde
près. Manoel a la précision d'un horloger. Sa méthode de travail est à l'opposé
de celle de Vigo, Nice est un film entièrement improvisé, sans plan préétabli,
qui s'est fait au montage. Justement, si Vigo l'inspire, c'est parce qu'il est
très différent de lui, mais pour ce film hommage, il serait absurde de vouloir
le copier.
— « Le cinéma
pour moi, me dit-il, n'est rien d'autre que du théâtre sur un support
différent. La parole est essentielle chez l'homme. L'homme n'a pas besoin de
l'image, mais de paroles. »
J'avance que
le cinéma muet est aussi un langage, un langage non articulé peut-être, mais un
langage quand même. La contradiction n'est pour lui qu'apparente : le film de
Vigo nous parle.
Il prépare son
prochain film : Le Soulier de satin. Il aimerait utiliser le système de la
projection frontale et me demande si je pourrais lui faire rencontrer Alekan
quand il viendra à Paris pour le montage de Nice. Je lui propose d'organiser un
dîner avec lui.
Bonjour. Chercheur sur l'histoire des monuments sculptés de Nice, j'aimerais avoir votre autorisation d'utiliser, sur mon blog, la photo du tombeau du Cimetière du Château sur lequel pose Manoel de Oliveira, sachant que j'effacerais la présence du cinéaste. Merci d'avance.
RépondreSupprimerBien cordialement. Roland Patin (patin.camus@gmail.com).