lundi 5 août 2013

Oliveira 02

Lundi 16 avril
Il est ce jour-là très enjoué et facétieux. Nous faisons une série de photos en compagnie de son fils devant des toilettes automatiques. Nous pissons à tour de rôle en bloquant la porte pour ne pas payer chaque fois. C'est la récréation. Je fais plusieurs photos de lui dans une cabine téléphonique, il prend des poses comiques.
Après-midi : nous prenons le train jusqu'à Èze, et suivons le sentier de Nietzsche jusqu'au village. Nous prenons un thé à « La chèvre d'or ». Nous regardons le soleil se coucher depuis les hauteurs. Pas de photographies, M. est contemplatif. Nous avons marché pas loin de quatre heures, il ne semble pas fatigué. Ecce homo.
Retour en train, il note sur son petit carnet bleu qu'il faudra faire un plan du train côtier depuis la colline. Arrivé à Nice, je me procure les horaires.
Je vais maintenant chaque soir dans un mini-lab, qui développe les photos en une heure. La jolie rousse un peu timide ne maîtrise pas réellement la tireuse automatique. Les tirages sont tantôt trop clairs, tantôt trop sombres, souvent rougeâtres. Je n'ose pas montrer ces mauvaises épreuves à Manoel. Je photographie une charte de couleurs pour qu'elle règle sa machine. Elle m'avoue être inexpérimentée et me propose de venir le lendemain après la fermeture pour faire des essais. Nous gâchons pas mal de papier avant d'obtenir un résultat satisfaisant. Il est près de dix heures, nous allons manger une pizza. Elle ne me facture pas les premiers tirages en remerciement. Désormais, je lui apporte un rouleau tous les soirs et récupère les tirages 9x13 le lendemain matin avant notre séance de travail quotidienne chez Manoel. Pour les photos en noir et blanc, les délais sont plus longs. Je les développerai moi-même à Paris.

Mercredi 18 avril
Apéritif chez Manoel. Nous buvons un whisky. Manoel voudrait tourner un plan dans le bureau de son fils. La pièce manque de recul. Je lui dis qu'il faudrait défoncer un mur pour faire un plan large, il sourit et me dit qu'il vaudrait mieux trouver une autre solution. Je lui propose d'installer un grand miroir et de faire le plan depuis le couloir dans la réflexion du miroir. L'idée lui plaît.
L'appartement est envahi d'objets. Madame de O. en est très malheureuse et tente de ranger et de faire le ménage. Finalement nous réussissons à installer deux chaises dans un recoin entre le couloir et la cuisine. Nous avons de longues conversations sur le cinéma. Il admire Duras et Syberberg qui « réinventent quelque chose ». Il a revu plusieurs fois À propos de Nice sur une cassette VHS. Il a noté la description et le minutage de chaque plan avec un chronomètre que je lui ai prêté. Nous revoyons le film sur un petit téléviseur. Nous repassons plusieurs fois les images en travelling de la promenade des Anglais. Je lui dis que Henri Alekan m'avait montré une photo de tournage de « l'homme à la caméra », le magnifique Boris Kaufman. Il avait inventé un dispositif pour tourner sans pied. La caméra était fixée sur une planche, avec deux bretelles, ce qui assurait une bonne fixité tout en tournant la manivelle. Mais cette astuce l'empêchait de se servir du viseur, il cadrait au jugé. L'anecdote intéresse M., il me demande s'il serait possible d'avoir une copie de cette photo.
M. a beaucoup avancé dans le découpage du film. Chacun de ses plans est minuté à la seconde près. Manoel a la précision d'un horloger. Sa méthode de travail est à l'opposé de celle de Vigo, Nice est un film entièrement improvisé, sans plan préétabli, qui s'est fait au montage. Justement, si Vigo l'inspire, c'est parce qu'il est très différent de lui, mais pour ce film hommage, il serait absurde de vouloir le copier.
— « Le cinéma pour moi, me dit-il, n'est rien d'autre que du théâtre sur un support différent. La parole est essentielle chez l'homme. L'homme n'a pas besoin de l'image, mais de paroles. »
J'avance que le cinéma muet est aussi un langage, un langage non articulé peut-être, mais un langage quand même. La contradiction n'est pour lui qu'apparente : le film de Vigo nous parle.
Il prépare son prochain film : Le Soulier de satin. Il aimerait utiliser le système de la projection frontale et me demande si je pourrais lui faire rencontrer Alekan quand il viendra à Paris pour le montage de Nice. Je lui propose d'organiser un dîner avec lui.

1 commentaire:

  1. Bonjour. Chercheur sur l'histoire des monuments sculptés de Nice, j'aimerais avoir votre autorisation d'utiliser, sur mon blog, la photo du tombeau du Cimetière du Château sur lequel pose Manoel de Oliveira, sachant que j'effacerais la présence du cinéaste. Merci d'avance.
    Bien cordialement. Roland Patin (patin.camus@gmail.com).

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