Il est assis
dans une pièce très encombrée devant une table de travail. C'est notre première
rencontre. Nous sommes dans l'appartement de son fils qui est peintre et vit à
Nice. La maison est située près du Marché aux Fleurs. Nous allons prendre un
café. Manoel veut acheter des pommes rouges, mais ce n'est pas la saison. Déçu,
il achète un kilo de Golden. Il choisit lui-même cinq pommes. Un kilo pile, lui
annonce le vendeur de quatre-saisons.
Nous
empruntons les arcades de la place Masséna, et nous dirigeons vers la Promenade
des Anglais.
Ces flâneries,
le nez en l'air se renouvelleront tous les jours pendant près de quatre
semaines. « On réfléchit mieux en marchant, non ? », me dit-il. Au fil de ces
promenades, il construit le film, et le soir, il consigne ses notes dans un
cahier qu'il me lit chaque matin. Il aimerait avoir une caméra. Il me confie
que le problème, avec le documentaire, est qu'on voit constamment des choses
qu'on voudrait saisir immédiatement. On se promet de revenir le lendemain, mais
c'est déjà trop tard.
Il achète des
cartes postales du carnaval de Nice qu'il colle dans son cahier.
Sur la
Promenade des Anglais, devant le Negresco, il regarde un avion qui décolle. «
Vous vous souvenez de l'hydravion d'À
propos de Nice ? Je vais tourner ici, il me faudra un travelling et nous
ferons un lent panoramique à 360° », il répète mentalement le plan qu'il veut
tourner et mime le mouvement de l'appareil. Au passage d'un avion, je sors de
mon sac un petit appareil photo, un Rollei 35, que j'utilise souvent pour les
repérages et je prends une photo. « Très bien, nous allons travailler comme ça,
vous allez prendre des photos de tous les plans du film et je les collerai dans
le cahier, et peut-être vais-je faire tout le film avec des photos et des
cartes postales. »
Nous
commençons à faire systématiquement des photos. Nous... lui plutôt, il cherche
le cadre en se déplaçant rapidement, puis m'attrape fermement par les épaules
pour m'indiquer la place précise. Il a regardé une fois ou deux dans le viseur
de l'appareil et cela lui a suffi pour connaître le champ de l'objectif. Il me
donne des indications : « Cadrez avec peu de ciel ! »
Photographier
de cette manière est une véritable discipline, il faut se couler dans le regard
de l'autre, ne pas se fier à son propre goût du cadre. Je lui propose
d'utiliser mon appareil, et qu'il prenne lui-même les photos.
— « Ce serait
une erreur, me dit-il, j'ai eu un Leica, mais j'oubliais toujours de faire le
point. Les appareils reflex sont beaucoup plus pratiques ». Je lui dis préférer
le Leica, plus rapide pour saisir « l'instant décisif ».
Nous observons
la direction des lumières sur la place du marché. Je note les places de caméra
et l'heure à laquelle nous tournerons.
M. me confie
que ce projet l'angoisse un peu. Il a l'impression de tourner son premier film.
Nous déjeunons frugalement et répétons chaque jour les exercices
photographiques. De temps en temps, il m'arrive de faire une photo sans qu'il
me l'ait demandé. Ces photos volées l'irritent un peu, car elles sont à ses
yeux inutiles.
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