Le 6 juillet 1933 à la clinique Santa-Maria, au 12
boulevard Tzarewitch. 1933 et non 1929 comme tout le monde le croit ! L'histoire de
ma date de naissance, c'est déjà presque un film en soi…
Racontez-nous !
En 1942, mon père, qui était juif, craignait que je sois déporté.
Il voulait m'envoyer « au vert » chez un ami qui habitait près d'Oran. Le
problème, c'est qu'à 9 ans, je ne pouvais pas prendre seul le bateau pour
l'Algérie. Heureusement, mon parrain, Julien Lairis, travaillait à la mairie de
Nice. Il m'a fabriqué de faux papiers en me vieillissant de quatre ans ! Comme
j'étais très grand pour mon âge, ça n'étonnait personne. Et j'ai pu embarquer…
Depuis, je m'efforce de rétablir la vérité. C'est compliqué parce que tous les
témoins de l'époque sont morts !
D'où venaient vos parents ?
Mon père Adam, d'origine tchétchène, naturalisé polonais, a
servi dans l'armée française pendant la Première Guerre mondiale. Il a inventé
une perceuse de tranchées qui porte son nom : la Mokiejewski. Ma mère, Janine
Zylinska, était issue d'une riche famille catholique polonaise. Ils se sont
installés à Nice vers 1922… et mon père s'est aussitôt employé à ruiner la
famille. C'était un fou furieux, un jouisseur ! Il n'a jamais vraiment
travaillé de sa vie. La fortune de ma mère a fondu sur les tables de bridge.
Tout ce qu'elle a pu sauver, c'est la magnifique maison où nous habitions, avenue
du Cap-de-Nice au Mont-Boron.
Quels souvenirs avez-vous de cette époque ?
Un jour, mon père m'a offert un ourson. Un vrai, hein, pas une
peluche ! Quand il a commencé à grandir, nous l'avons donné à un zoo. J'étais
inconsolable (il rit). Je me souviens aussi du jour où j'ai été mordu
par un serpent…
Un serpent ?
Oui ! C'était à la Tour-Rouge, la seule plage de sable
niçoise. Je devais avoir 6 ans. J'étais à genoux, je cherchais des coquillages
dans une grotte et je l'ai écrasé ! C'était un serpent de Java, une espèce
venimeuse. Mon père l'a mis dans un bocal et l'a porté au Musée océanographique
de Monaco ! (Il rit) Vous
voyez, j'ai survécu !
C'est à cette époque que vous avez
découvert le cinéma ?
A peu près. Ma mère était une vraie mordue. Le jeudi et le
dimanche, de 14 heures à 19 heures, elle m'amenait au Rex, rue
Paganini, au Politéama,
place Garibaldi ou au Studio 34, boulevard
Edouard-VII. Je devais avoir sept ans quand j'ai vu Une nuit à l'Opéra. L'humour
des Marx Brothers, c'était quelque chose ! Drôle et décapant à la fois…
C'est à Nice que vous avez fait vos débuts
d'acteur ?
Presque : à Saint-Jeannet ! J'avais neuf ans. Mes parents
fréquentaient les artistes juifs qui se planquaient, comme le compositeur
Joseph Kosma et le décorateur Alexandre Trauner. Ils travaillaient - dans la
clandestinité - sur Les Visiteurs
du Soir que tournait Marcel Carné. Je fais de la figuration dans une scène
avec Jules Berry. C'était juste avant mon départ pour l'Algérie…
Vous revenez à Nice deux ans plus tard, à
la Libération…
J'ai habité quelque temps dans un bordel qui se trouvait en face
de la gare. J'étais amoureux d'une prostituée, donc ça me semblait tout
naturel. L'été, j'étais garçon plagiste sur les plages de la Croisette. Je
présentais des jeunes femmes à des vieux messieurs…
Vous étiez mac ?
Un peu… (il
rigole) ça n'a pas duré. En 1946, j'avais treize ans, j'ai épousé une fille
que j'avais mise enceinte, puis je suis monté à Paris où je suis devenu
chauffeur de taxi. J'ai « chargé » Pierre Fresnay qui m'a proposé un petit
rôle. Et tout a démarré comme ça…
Vous revenez souvent à Nice ?
Aussi souvent que je le peux ! Jacques Médecin a toujours tout
fait pour m'aider - comme aujourd'hui Christian Estrosi ! J'ai réalisé un
court-métrage sur la ville, Nice
is nice. Et je reviens avant la fin de l'année pour tourner mon nouveau film, Le Mentor. (Il sourit) D'ailleurs, il faut
m'excuser : je dois aller auditionner une quarantaine de jeunes comédiennes. Je
ne veux pas les faire attendre…
Nice Matin, 29/09/2011, Lionel Paoli.