"J'ai rencontré Madame et Monsieur Fuscielli un jour de février dernier. Le couple faisait alors un séjour, le plus bref possible, dans la maison qu'ils ont conservée au bas des Pierres Blanches, de l'autre côté de l'ancien chemin de la Lanterne, à droite juste avant les escaliers.
(...), je viens pour tout savoir sur leur paradis d'avant, celui qui disparaît peu à peu à leurs yeux, celui dont je suis tombée amoureuse et qu'eux ont cessé d'aimer.
Quand on revient d'un séjour à Sigale, nous on n'est plus habitués, il nous faut un jour ou deux pour s'habituer aux avions. Par contre ma fille en bas entend moins. Quelqu'un qui n'a pas connu avant comme vous, vous trouvez le coin merveilleux. Mais pour quelqu'un comme nous, on est presque nés ici, on a vu tout ça, de ce côté c'était tout campagne et de l'autre côté c'était tout campagne, on se parlait d'une rive à l'autre [depuis le Guattamua], on se faisait signe !
Lorsqu'on a acheté ici, je me mettais à la fenêtre pour voir le Carnaval, je voyais tout, maintenant je ne vois plus qu'un petit bout de Nice.
Madame Fuscielli faisait du fromage avec le lait de chèvre, pour la consommation familiale. En plus d'élever leurs trois enfants et d'avoir la charge de la maman de son mari qui était devenue impotente, elle travaillait à l'oeillet, elle avait le temps de faire tout ça. J'avais la santé ! Je ne sais pas si vous êtes croyante, mais enfin moi je crois. On n'a jamais été malades tous les deux, à part quelques rhumes.
C'est son mari qui allait vendre les oeillets sur trois marchés.
Le matin il allait à deux crier à Antibes, il revenait, il chargeait, et il allait au MIN (le Marché d'Intérêt National). Et ceux qui n'étaient pas vendus, le lendemain on faisait des petits bouquets pour aller vendre au cours Saleya.
La vente des fleurs : d'abord à Nice au cours Saleya, puis le marché a été transféré au MIN. En 1980 quand ils vendent les terres des Pierres Blanches, les cours de la fleur niçoise commençaient à dégringoler sérieusement. La villa Bicarella (Monsieur et Madame Boespflug) : des gens très gentils, leurs enfants et les enfants Fuscielli allaient à l'école ensemble, ils s'attendaient et montaient ensemble. Parce que tous les enfants d'ici montaient seuls à l'école, par le petit sentier, on n'avait pas besoin de les accompagner, c'est pas comme maintenant.
Les Bruyères : le proprio s'était caché dans le souterrain pendant la guerre. C'était un veuf juif espagnol. Souterrain, relié à une espèce de couvent. Il était recherché par les Allemands et il était caché dans ce tunnel. Il n'en sortait jamais. Des fois je remontais là-haut (quand on habitait plus haut), je trouve un camion de soldats allemands. « Madame, nous le retouverons, nous le retrouverons ! », et sa femme disait « Mais je vous dis que mon mari est en Espagne ! ». « Nous le retrouverons, nous le retrouverons ! ». Et quand il est sorti après la guerre, il était pas bronzé ! et Monsieur Fuscielli éclate de rire (...). Mais ça lui a sauvé la vie. Et ils avaient une servante qui était comme ça (il fait un signe avec le pouce), parce qu'elle a jamais rien dévoilé. Interrogé sur le souterrain, Monsieur Fuscielli répète C'était des couvents d'avant.
Après c'est l'Olivette elle était rose à l'époque, après il y a une villa sur pilotis, après y a du terrain. MaîtreLeb, on lui a appris que dans sa villa ya des souterrains qui avaient été faits par les Allemands. Donc des souterrains qui n'auraient rien à voir avec ceux de sous les Bruyères. Parce que les Allemands avaient occupé toute la partie de terrains/villa correspondant aux Pierres Blanches, Floraline, Olivette, donnant de ce côté du vallon. Les Allemands avaient fait faire des grands abris par des travailleurs “d'ici.” Monsieur Fuscielli lui-même a été contraint de creuser ces tunnels, comme des mineurs. Soutènement en bois, rondins, planches, dans ces souterrains on trouvait téléphone et électricité. M. Fuscielli, lui, a travaillé au premier souterrain, celui qui faisait communiquer les Pierres Blanches avec la villa Floraline, et ça remontait jusqu'à l'autre propriété encore derrière (il veut dire plus haut). Il est persuadé que ces souterrains existent encore.
Qui ce serait qui aurait démoli ça ? Et les propriétaires ou les locataires, ils savent pas qu'il y a ces trucs. L'accès se faisait par le vallon : par le haut on allait en bas, et les entrées de tous ces souterrains doivent toujours exister. Tout au plus ça doit être bouché par les broussailles.
Tout s'est construit à peu près en même temps. Arcadia : vers 1960 (avant les immeubles, il y avait une propriété immense qui appartenait au roi de la margarine, la villa et l'entrée étaient en haut, là où actuellement l'avenue de la Lanterne rejoint la Corniche Fleurie, la propriété était immense et continuait même en-dessous de Napoléon III).
1980 : après 24 ans de bonne exploitation florale comme propriétaires terriens, les Fuscielli vendent à leur tour. Les grands virages de raccordement de l'ancien chemin de la Lanterne au boulevard de Montréal sont faits à ce moment et les deux immeubles des Pierres Blanches sortent de terre un an ou un an et demi après."
Photos, de haut en bas :
Famille Fuscielli La culture de l'oeillet / La chèvre des Fuscielli / Monsieur Fuscielli descendant la Lanterne à bicyclette.
Famille Révélat Villa Panorama, à droite, janvier 1960 / Villa La Lanterne à la même époque.