"Quand l'art envahit la rue"
(The Wall Street Journal, New York)
(The Wall Street Journal, New York)
Les Niçois les appellent "les bouddhas". En 2007, la place Masséna a été ornée de sept statues de personnages assis réalisées en fibre de verre translucide et juchées sur des mâts de dix mètres de haut. Au coucher du soleil, elles s'illuminent et changent lentement de couleur, passant l'une après l'autre du rose vif au bleu foncé, au vert émeraude et à l'orange flamboyant, comme si elles se confiaient l'une l'autre un savoir métaphysique. Cette installation, intitulée Conversation à Nice, a été montée par l'artiste catalan Jaume Plensa et fait partie des quatorze oeuvres d'art commandées par Nice pour jalonner les 8,7 kilomètres de sa ligne de tramway. Motifs sonores annonçant les arrêts ou pont baigné de lumière bleue, toutes ces productions veulent affirmer la volonté de Nice de s'imposer sur la scène de l'art contemporain en Europe. Autrefois capitale artistique (Henri Matisse, Marc Chagall, Yves Klein, Raoul Dufy, Niki de Saint Phalle, Arman et César y ont séjourné), Nice était devenue plus célèbre pour la corruption de ses politiciens, les trente ans d'enquête riche en rebondissements sur le meurtre de l'héritière de l'un des principaux casinos de la Riviera, Agnès Le Roux, et la désagréable réalité des embouteillages et des klaxons discordants qui marquent la saison touristique. Lorsque Nice a dû repenser ses espaces publics, pendant les trois années du chantier de sa nouvelle ligne de tramway - l'ancienne a été démantelée en 1953 -, elle y a vu une occasion de se recentrer sur l'art. La municipalité dit avoir dépensé 3,3 millions d'euros pour les oeuvres d'art, soit moins de 1% des 400 millions d'euros qu'a coûté le tramway.
Le Corse Ange Leccia a créé le Disque solaire sur la façade du centre de contrôle du tramway, à la station Las Planas. Il est visible à plusieurs kilomètres, comme un phare. "Je voulais une sorte de corps céleste dans l'espace qui fasse penser au soleil, un symbole de Nice, mais qui change aussi de couleur et brille de 18 heures à 3 heures", explique l'artiste. Les réverbères surréalistes des Niçois Pascal Pinaud et Stéphane Magnin, qui éclairent le quartier universitaire de Saint-Jean D'Angély, portent bien leur nom : Composition exubérante de réverbères hybrides. L'artiste turc Sarkis a orné la Porte fausse, un escalier ancien qui relie le Vieux Nice à la partie plus récente de la ville qui était très délabré, d'un magnifique décor de feuilles d'or et de marbre. Côté décoration, on trouve le palmier blanc opalescent de vingt mètres de haut imaginé par le Français Jacques Vieille et la cascade d'objets du quotidien aux couleurs vives - une cafetière, des clés, une guitare - peinte par l'Irlandais Michael Craig Martin sur des façades d'immeubles HLM. Même les ponts ferroviaires baignent dans une belle lumière bleue. "Il s'agit d'une référence au ciel, à la mer et au plus grand artiste niçois, Yves Klein", explique son auteur, la plasticienne allemande Gunda Förster. "Lorsqu'on traverse cet espace à pied, on peut physiquement sentir la couleur". Une visite guidée permet de découvrir les quatorze installations pour 8 euros.
Les oeuvres ont suscité des réactions diverses, plus particulièrement Conversation à Nice, qui, de par sa situation sur la place principale de la ville, est la plus visible. "Ils sont magnifiques, j'adore le mariage de l'ancien et du moderne", s'est extasiée Maire-Madeleine Rossini, puéricultrice et Niçoise de seconde génération. "J'aime les couleurs des statues de Plensa la nuit", a renchéri Myressa Markham, qui étudie au CERAM de Sophia Antipolis, à 25 kilomètres de Nice. "On dirait des sucreries, des bébés en gelée géants sur des bâtonnets." D'autres étaient moins enthousiastes. "Ces statues ne sont pas du tout à leur place", s'indigne Marco Piras, coiffeur dans le Vieux Nice. "Elles n'ont aucun rapport avec l'histoire de Nice ou son identité. Sept sucettes de bouddhas ne rendent pas la ville plus internationale."
Jaume Plensa, une star de l'art public dont les réalisations incluent notamment la très appréciée Crown Fountain, à Chicago, est optimiste : "L'un des défis posés par la création d'oeuvres d'art pour des espaces publics est que l'oeuvre doit s'offrir aux habitants de la ville, explique-t-il. Ce n'est pas comme dans un musée, où les gens viennent dans le but de voir de l'art. Dehors, il n'y a pas de protection, c'est comme sauter dans le vide". Les mouettes, en revanche, ont tout de suite adopté les têtes des statues comme perchoir. "Elles m'aident à intégrer l'oeuvre d'art dans le paysage", ajoute-t-il en souriant.
L'une des réalisations les plus intéressantes se trouve à l'intérieur même des rames du tramway. Le compositeur et designer sonore Michel Redolfi a écrit plus de 400 sonals pour indiquer les 21 stations. Chacun consiste en une phrase musicale de sept secondes suivie du nom de l'arrêt dit par une voix d'homme ou de femme. Les célèbres acteurs français Michael Lonsdale et Daniel Mesguich se sont prêtés au jeu. A la différence des annonces monotones diffusées dans les aéroports et les gares, la musique et l'intonation des sonals changent selon le jour de la semaine, la saison et l'heure. En hiver, par exemple, on entend des tintements festifs, tels des cloches. En été, les passagers ont droit au bruit de la mer ou au chant des grillons, comme si le tram n'avait pas de fenêtres. Le matin, les voix sont énergiques et optimistes. Le soir, elles murmurent. "Je voulais créer une ambiance de voyage poétique nocturne, explique Redolfi, un peu comme l'atmosphère onirique que l'on trouve dans les tableaux du peintre belge Paul Delvaux."
Les abris de tram accueillent pour leur part 300 réalisations de Benjamin Vautier, alias Ben, membre célèbre du groupe Fluxus et qui vit et travaille depuis de nombreuses années à Nice. Ses oeuvres, basées sur les mots, sont provocatrices ou amusantes. "Je veux choquer, étonner et faire réfléchir les gens avec des phrases applicables à la vie de tous les jours", explique l'artiste. Parmi ses aphorismes - écrits dans des rectangles noirs avec la calligraphie en lettres blanches qui est devenue sa marque de fabrique - figurent des messages qui trouvent certainement un écho parmi les gens qui attendent le tramway :"Regardez ailleurs", "J'attends l'impossible", "Pas d'art sans liberté", "Fermez les yeux. Écoutez la rue" et "La femme de vos rêves est dans le tram". "D'habitude, vous vous levez le matin, vous partez travailler, vous regardez vos souliers, vous pensez à vos soucis et vous rentrez à la maison, poursuit-il. Maintenant, si vous levez les yeux, vous verrez parmi les avions et les étoiles un tableau de Ben, une sculpture de Pinaud ou de Magnin ou la guirlande de lumières bleues de Yann Kersalé. L'art dans la ville vous transporte ailleurs. Il vous remonte le moral".
Le Corse Ange Leccia a créé le Disque solaire sur la façade du centre de contrôle du tramway, à la station Las Planas. Il est visible à plusieurs kilomètres, comme un phare. "Je voulais une sorte de corps céleste dans l'espace qui fasse penser au soleil, un symbole de Nice, mais qui change aussi de couleur et brille de 18 heures à 3 heures", explique l'artiste. Les réverbères surréalistes des Niçois Pascal Pinaud et Stéphane Magnin, qui éclairent le quartier universitaire de Saint-Jean D'Angély, portent bien leur nom : Composition exubérante de réverbères hybrides. L'artiste turc Sarkis a orné la Porte fausse, un escalier ancien qui relie le Vieux Nice à la partie plus récente de la ville qui était très délabré, d'un magnifique décor de feuilles d'or et de marbre. Côté décoration, on trouve le palmier blanc opalescent de vingt mètres de haut imaginé par le Français Jacques Vieille et la cascade d'objets du quotidien aux couleurs vives - une cafetière, des clés, une guitare - peinte par l'Irlandais Michael Craig Martin sur des façades d'immeubles HLM. Même les ponts ferroviaires baignent dans une belle lumière bleue. "Il s'agit d'une référence au ciel, à la mer et au plus grand artiste niçois, Yves Klein", explique son auteur, la plasticienne allemande Gunda Förster. "Lorsqu'on traverse cet espace à pied, on peut physiquement sentir la couleur". Une visite guidée permet de découvrir les quatorze installations pour 8 euros.
Les oeuvres ont suscité des réactions diverses, plus particulièrement Conversation à Nice, qui, de par sa situation sur la place principale de la ville, est la plus visible. "Ils sont magnifiques, j'adore le mariage de l'ancien et du moderne", s'est extasiée Maire-Madeleine Rossini, puéricultrice et Niçoise de seconde génération. "J'aime les couleurs des statues de Plensa la nuit", a renchéri Myressa Markham, qui étudie au CERAM de Sophia Antipolis, à 25 kilomètres de Nice. "On dirait des sucreries, des bébés en gelée géants sur des bâtonnets." D'autres étaient moins enthousiastes. "Ces statues ne sont pas du tout à leur place", s'indigne Marco Piras, coiffeur dans le Vieux Nice. "Elles n'ont aucun rapport avec l'histoire de Nice ou son identité. Sept sucettes de bouddhas ne rendent pas la ville plus internationale."
Jaume Plensa, une star de l'art public dont les réalisations incluent notamment la très appréciée Crown Fountain, à Chicago, est optimiste : "L'un des défis posés par la création d'oeuvres d'art pour des espaces publics est que l'oeuvre doit s'offrir aux habitants de la ville, explique-t-il. Ce n'est pas comme dans un musée, où les gens viennent dans le but de voir de l'art. Dehors, il n'y a pas de protection, c'est comme sauter dans le vide". Les mouettes, en revanche, ont tout de suite adopté les têtes des statues comme perchoir. "Elles m'aident à intégrer l'oeuvre d'art dans le paysage", ajoute-t-il en souriant.
L'une des réalisations les plus intéressantes se trouve à l'intérieur même des rames du tramway. Le compositeur et designer sonore Michel Redolfi a écrit plus de 400 sonals pour indiquer les 21 stations. Chacun consiste en une phrase musicale de sept secondes suivie du nom de l'arrêt dit par une voix d'homme ou de femme. Les célèbres acteurs français Michael Lonsdale et Daniel Mesguich se sont prêtés au jeu. A la différence des annonces monotones diffusées dans les aéroports et les gares, la musique et l'intonation des sonals changent selon le jour de la semaine, la saison et l'heure. En hiver, par exemple, on entend des tintements festifs, tels des cloches. En été, les passagers ont droit au bruit de la mer ou au chant des grillons, comme si le tram n'avait pas de fenêtres. Le matin, les voix sont énergiques et optimistes. Le soir, elles murmurent. "Je voulais créer une ambiance de voyage poétique nocturne, explique Redolfi, un peu comme l'atmosphère onirique que l'on trouve dans les tableaux du peintre belge Paul Delvaux."
Les abris de tram accueillent pour leur part 300 réalisations de Benjamin Vautier, alias Ben, membre célèbre du groupe Fluxus et qui vit et travaille depuis de nombreuses années à Nice. Ses oeuvres, basées sur les mots, sont provocatrices ou amusantes. "Je veux choquer, étonner et faire réfléchir les gens avec des phrases applicables à la vie de tous les jours", explique l'artiste. Parmi ses aphorismes - écrits dans des rectangles noirs avec la calligraphie en lettres blanches qui est devenue sa marque de fabrique - figurent des messages qui trouvent certainement un écho parmi les gens qui attendent le tramway :"Regardez ailleurs", "J'attends l'impossible", "Pas d'art sans liberté", "Fermez les yeux. Écoutez la rue" et "La femme de vos rêves est dans le tram". "D'habitude, vous vous levez le matin, vous partez travailler, vous regardez vos souliers, vous pensez à vos soucis et vous rentrez à la maison, poursuit-il. Maintenant, si vous levez les yeux, vous verrez parmi les avions et les étoiles un tableau de Ben, une sculpture de Pinaud ou de Magnin ou la guirlande de lumières bleues de Yann Kersalé. L'art dans la ville vous transporte ailleurs. Il vous remonte le moral".
Lanie Goodman
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