vendredi 14 janvier 2011

Michael Powell, 1ère chance avec Rex Ingram.

Mais toutes ces sages préoccupations littéraires allaient s'évanouir quand je revis mon père, à la gare de Beaulieu. Il était aussi excité que moi.
- Voilà ta chance, Mick. Une compagnie américaine qui tourne un grand film ici, à Nice. Hier ils ont filmé toute la journée à Villefranche, avec un sous-marin français de Toulon. Des gens de l'équipe sont venus à Saint-Jean, ils ont regardé la terrasse et j'en ai invité quelques-uns à dîner chez Maxim à neuf heures. Je leur ai dit que tu savais tout sur le cinéma, et ça les a fait rire. Ils ont l'air sympathiques.
J'avais du mal à assimiler.
- Une compagnie américaine ? Quelle compagnie ?
- Metro, je crois qu'ils l'appellent.
- Metro ! J'en avais le souffle coupé.
- Ils tournent dans toute la Méditerranée depuis quelques mois - Naples, Pompéi, Barcelone, Marseille, et maintenant ils sont ici pour finir le film aux studios de la Victorine à Nice.
- La Victorine ?
- C'est dans le quartier de la Californie. Sur la colline, au-dessus du chemin de fer. Tu n'y es jamais allé.
- Le film s'appelle comment ?
- Mare Nostrum.
J'avais la gorge sèche.
- C'est Rex Ingram, dis-je dans un souffle.
- Qui ?
- Rex Ingram. Il a fait Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse. Il a fait Le Roman d'un roi. Il a fait Scaramouche.
- Vraiment ? Ca alors !
Rex Ingram en compagnie de son actrice et épouse Alice Terry devant un kiosque niçois et l'affiche de Mare Nostrum (1926).

- Est-ce qu'il vient ce soir ?
- Aucune idée. Je les ai tous invités. Ca ne sert à rien de faire les choses à moitié. On va aller à Nice ce soir, toi et moi, et on passera au bar de l'hôtel Ruhl. C'est là qu'ils sont descendus, et il y en a toujours quelques-uns au bar. Après, on verra.
La petite voiture fonça comme un boulet à travers le port, grimpa la côte à grand bruit et fit son entrée à l'hôtel sur les chapeaux de roues. L'arrivée de mon père sur la terrasse était toujours spectaculaire.

Carabiniers et policiers près de l'hôtel Ruhl en 1943.

- Le capitaine Powell est arrivé ! Avec son fils*.
J'étais un point d'interrogation. Serais-je ou non l'héritier présomptif de l'hôtel ?
André Caramello, fils du héros de l'épisode Mange-Cafard*, était un ami. Nous avions - et avons toujours, j'espère - le même âge. Nous étions tous deux passionnés de fleuret. Nous jouions aux mousquetaires sur le port. Il essayait toujours de deviner mes intentions. La Voile d'or, avec ses vingt-quatre chambres, était appréciable ; mais c'était surtout son immense terrasse que tout le monde convoitait. Avec parking ! Et le succès ou l'échec d'un hôtel commençait déjà à dépendre du parking.
Au bar du Ruhl mon père fut accueilli par le barman comme un vieil ami. Henri connaissait les secrets de tout le monde et servait de confesseur et de banquier à tous les paumés, maquereaux et putains de la côte.
Les célébrités de passage descendaient au Negresco ou au Ruhl. S'il étaient russes, ou nouveaux venus, au Negresco, hôtel à l'architecture pâtissière tape-à-l'oeil, sur la promenade des Anglais. S'ils étaients déjà venus à Nice ils allaient au Ruhl, situé en face du casino de la jetée, pas loin du casino municipal, et à trente secondes de l'établissement bien tenu de Mme Régina dans la rue de France. Mon père se commanda un Manhattan, et pour moi un gin-fizz. "Et pas trop de gin, Henri ; c'est mon fils, vous savez*." (pp. 156-157/ Livre Premier : le muet, pp. 27-222).
* En français dans le texte.

Extrait de l'autobiographie de Michael Powell - première photo en haut -, Une vie dans le cinéma, traduite de l'anglais par Jean-Pierre Coursodon. Publié chez Actes Sud / Institut Lumière, en 1997 ; épuisé.

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