samedi 29 septembre 2012

Eté 46 : Bente Johansen

Témoignage d'une jeune danoise [1ère photo], qui rencontra le couple Destouches pendant leur exil danois.

« Après bien des aléas, j’eus la permission de répondre à l’invitation qui m’avait été faite et de partir pour la France. Le 20 juillet 1946, j’embarquai dans un avion à destination de Marseille. C’était la première fois que je prenais l’avion : un grand événement pour moi !
Jytte Seidenfaden [2ème photo], que je ne connaissais pas encore, était venue m’accueillir. Nous passâmes la nuit à l’hôtel avant de prendre le train pour Nice, où Monsieur Pirazzoli m’attendait en compagnie de Henri, un parent, qui nous conduisit à une allure folle jusqu’au Régina, à Cimiez. Jytte Seidenfaden et moi, nous habitions un très agréable trois-pièces au 4è. Monsieur et Madame Pirazzoli logeaient au rez-de-chaussée avec accès au parc.
Ils me reçurent avec beaucoup de cordialité et me firent l’impression de bons vivants qui appréciaient vraiment l’existence qu’ils s’étaient forgée à Nice, où ils rénovaient des appartements pour les revendre. Deux fois par jour, nous passions des heures à table à converser. Il y avait souvent des invités, surtout des membres de la famille. Dans mon journal d’alors, j’ai noté trois prénoms : Henri, Norrette et Jeannette. Norrette et son mari habitaient aussi au Régina. Je me souviens d’avoir été invitée chez eux avec une femme qui était une grande admiratrice de Céline. Un autre couple tenait un restaurant à Nice.

Le 24 juillet, une excursion était prévue pour que nous allions pique-niquer à une quinzaine de kilomètres de Nice. Départ fixé à 13 heures, du Régina. Il fallut d’abord attendre une heure que Madame Pirazzoli fût prête. Le reste de la famille devait nous rejoindre. Eux aussi étaient en retard, de sorte qu’avec Jytte Seidenfaden nous eûmes le temps d’aller nous baigner dans le fleuve, dans une eau claire et froide. Après le déjeuner, nous allâmes tous faire la sieste dans l’herbe avant de ramasser du bois pour faire un feu sur lequel fut cuit le repas du soir. Nous bûmes du champagne et différents vins, puis nous finîmes la soirée en jouant et en chantant. Jytte et moi, nous nous lançâmes dans « C’était un samedi soir », une vieille chanson danoise.
Avec Jytte Seidenfaden nous avions de bonnes et nombreuses conversations lorsque nous nous retrouvions seules dans l’appartement ou alors quand nous nous rendions à la Promenade des Anglais pour nous baigner. C’est grâce à elle que je fus présentée au poète et héros de la Résistance Roland Claudel, lequel m’introduisit auprès de tout un groupe d’artistes qui se réunissaient à l’Union des Intellectuels.
Lorsque j’expliquais que j’étais invitée chez la belle-mère de Céline, on haussait les épaules. Certes, c’était un écrivain connu, mais le meilleur service qu’on pouvait lui rendre, c’était de l’oublier. En revanche, on parlait abondamment de Sartre et de l’existentialisme. Moi qui était Danoise, je devais bien connaître Kieerkegaard. Non ? Ma foi, j’avais lu « Ou bien ou bien » à seize ans et m’était étonnée de ses étranges fiançailles avec Régine, mais expliquer ses pensées philosophiques, j’en étais bien incapable, que ce fût en danois ou, encore moins, en français. A l’union, en plus des intellectuels, il y avait des peintres, des sculpteurs, des acteurs, des chanteurs et des danseurs, notamment Helen Armfelt, qui ne me mit en rapport avec deux ballerines qui avaient ouvert des écoles de danse classique à Nice, Mme Karpova et Mme Sedowa. Mes parents m’avaient envoyé de l’argent, que j’avais changé difficilement en vue de suivre un cours international à Besançon. Je préférai l’employer à m’entraîner chez l’une, le matin, chez l’autre, l’après-midi. En outre, je prenais des leçons particulières chez elles. Il était aussi possible de faire un peu d’équitation à Nice.
 
Mes journées étaient bien remplies : exercices de danse, baignades, exercices de danse. Le soir, j’étais fréquemment invitée à sortir avec les artistes dont j’avais fait la connaissance. Je me souviens en particulier d’une éblouissante « nuit blanche », une fête populaire avec de magnifiques cortèges. Pour y participer, il fallait s’habiller en blanc. Musique et danses battirent leur plein à ciel ouvert, avec vue sur la mer.
Tout comme à Copenhague, je bénéficiais régulièrement de billets de faveur au théâtre, à l’opéra, au ballet, et on m’invitait à aller saluer les artistes après le spectacle. C’est ainsi que je fus amenée à rencontrer le Russe Algaroff, qui dansait admirablement : rien d’étonnant à ce que, six ans après, il soit devenu danseur étoile à l’Opéra de Paris.
C’était une merveilleuse époque stimulante et enrichissante pour la jeune fille de 19 ans que j’étais. Je commençai à sauter les repas trop riches, trop lourds du Régina, aussi parce que je ne pouvais pas les supporter, et ne rentrai que tard le soir.
Comme je sautais trop souvent les repas, Madame Pirazzoli me mit en garde contre la traite des blanches. Étant indépendante, je savais très bien me débrouiller toute seule. Mais sa pauvre bonne, Jacqueline, elle, n’avait pas le droit de sortir seule. J’eus pitié d’elle et, heureusement, j’eus le droit de l’inviter quelquefois au cinéma. De plus, je lui achetais des hebdomadaires illustrés et des friandises.<BR>
 
La « dolce vita » n’avait duré que deux semaines lorsque Jacqueline vint me réveiller un beau matin à sept heures : il fallait compter la porcelaine et l’argenterie, les emballer et les mettre dans des caisses ; l’appartement devait être vidé, mais les Pirazzoli en avaient un autre, rue Massenet, près de la Promenade des Anglais. Ils comptaient sur moi pour les aider à déménager, d’où la raison de ce réveil matinal et de la mise en chantier avec Jacqueline ! Je me rappelle que les vitres étaient si sales qu’il fallut m’y reprendre à deux fois pour les nettoyer.
La corvée suivante fut de mettre du lino sur le sol. Jacqueline était apparemment rompue à ce genre d’exercice, mais moi, qui n’avait pas la moindre expérience de travail pratique en dehors de m’occuper de chevaux, je me retrouvais tellement épuisée que je n’étais plus capable de suivre mes cours de danse.
Le 2 septembre, j’emménageai donc rue Massenet, mais pas dans l’appartement que j’avais aidé à installer. On m’assigna une chambre de bonne en sous-sol, où ne pénétrait pas le moindre rayon de soleil, et, de plus, sans lumière électrique, les deux premiers jours. Ce brutal passage du Régina à un réduit obscur et humide fit que je tombais malade et eus de la fièvre. Je ne fus jamais amenée à habiter l’appartement, mais je me fis bientôt à ma nouvelle situation, recouvrais mes forces et repris ma vie. »

http://www.lepetitcelinien.com/2012/02/de-copenhague-nice-ete-1946-par-bente.html

jeudi 6 septembre 2012

Manoel de Oliveira















« Avec cette commande pour une série d'émissions télé (Regard sur la France, FR3) Manoel de Oliveira décide donc de rendre hommage à son contemporain Jean Vigo (ils n'avaient que trois ans d'écart) à travers un nouveau documentaire sur Nice incorporant des images du film de Vigo. […] Il y a de formidables idées de montage, raccourcis géniaux, comme ce raccord entre l'empreinte d'un homme des cavernes et des gens qui marchent dans la rue dans les années 80. Le cinéaste pose un regard curieux et plein d'acuité sur Nice, celui d'un étranger mais pas d'un touriste. A l'aide de longs plans fixes en son direct il parvient à saisir l'essence de cette ville, s'attardant plus particulièrement sur les vieux (il avait déjà lui-même 75 ans au moment de tourner ce film). C'est un regard à la fois plein de tendresse et très aiguisé (comme la scène où une vieille dame refuse de laisser sa chaise à un homme car elle veut y poser son sac à main). Tourné un peu plus de 50 ans après A propos de Nice, Nice - A propos de Jean Vigo montre que rien n'a changé et que les riches retraités de la Côte d'Azur sont toujours aussi pédants, mesquins, vulgaires, égoïstes et insupportables. Bien sûr, c'est fait sans forcer le trait (…). Saisissant l'essence du film de Vigo Oliveira l'actualise, il s'en inspire sans jamais tomber dans la citation ou l'hommage appuyé. […] C'est un hymne à la vie et à l'amour d'une rare jeunesse. […] Seul bémol, la seconde partie du documentaire qui laisse la parole à des artistes et intellectuels Portugais installés à Nice est beaucoup moins intéressante et même assez ennuyeuse. Heureusement cela est contrebalancé par des interviews d'ouvriers immigrés eux aussi Portugais plus intéressants. Cela reste un film à voir absolument, avec en plus à la fin une émouvante rencontre avec la fille de Jean Vigo. »
 
Nice - A propos de Jean Vigo, compte-rendu de Mujokan
(http://www.myspace.com/hervac/blog/431547799).