vendredi 26 juillet 2013

Oliveira 01

Mercredi 11 avril
Il est assis dans une pièce très encombrée devant une table de travail. C'est notre première rencontre. Nous sommes dans l'appartement de son fils qui est peintre et vit à Nice. La maison est située près du Marché aux Fleurs. Nous allons prendre un café. Manoel veut acheter des pommes rouges, mais ce n'est pas la saison. Déçu, il achète un kilo de Golden. Il choisit lui-même cinq pommes. Un kilo pile, lui annonce le vendeur de quatre-saisons.
Nous empruntons les arcades de la place Masséna, et nous dirigeons vers la Promenade des Anglais.
Ces flâneries, le nez en l'air se renouvelleront tous les jours pendant près de quatre semaines. « On réfléchit mieux en marchant, non ? », me dit-il. Au fil de ces promenades, il construit le film, et le soir, il consigne ses notes dans un cahier qu'il me lit chaque matin. Il aimerait avoir une caméra. Il me confie que le problème, avec le documentaire, est qu'on voit constamment des choses qu'on voudrait saisir immédiatement. On se promet de revenir le lendemain, mais c'est déjà trop tard.
Il achète des cartes postales du carnaval de Nice qu'il colle dans son cahier.

 
Jeudi 12 avril
Sur la Promenade des Anglais, devant le Negresco, il regarde un avion qui décolle. « Vous vous souvenez de l'hydravion d'À propos de Nice ? Je vais tourner ici, il me faudra un travelling et nous ferons un lent panoramique à 360° », il répète mentalement le plan qu'il veut tourner et mime le mouvement de l'appareil. Au passage d'un avion, je sors de mon sac un petit appareil photo, un Rollei 35, que j'utilise souvent pour les repérages et je prends une photo. « Très bien, nous allons travailler comme ça, vous allez prendre des photos de tous les plans du film et je les collerai dans le cahier, et peut-être vais-je faire tout le film avec des photos et des cartes postales. »
Nous commençons à faire systématiquement des photos. Nous... lui plutôt, il cherche le cadre en se déplaçant rapidement, puis m'attrape fermement par les épaules pour m'indiquer la place précise. Il a regardé une fois ou deux dans le viseur de l'appareil et cela lui a suffi pour connaître le champ de l'objectif. Il me donne des indications : « Cadrez avec peu de ciel ! »
Photographier de cette manière est une véritable discipline, il faut se couler dans le regard de l'autre, ne pas se fier à son propre goût du cadre. Je lui propose d'utiliser mon appareil, et qu'il prenne lui-même les photos.
— « Ce serait une erreur, me dit-il, j'ai eu un Leica, mais j'oubliais toujours de faire le point. Les appareils reflex sont beaucoup plus pratiques ». Je lui dis préférer le Leica, plus rapide pour saisir « l'instant décisif ».
Nous observons la direction des lumières sur la place du marché. Je note les places de caméra et l'heure à laquelle nous tournerons.
M. me confie que ce projet l'angoisse un peu. Il a l'impression de tourner son premier film. Nous déjeunons frugalement et répétons chaque jour les exercices photographiques. De temps en temps, il m'arrive de faire une photo sans qu'il me l'ait demandé. Ces photos volées l'irritent un peu, car elles sont à ses yeux inutiles.
 





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